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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/87

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à vanter sa marchandise. Au bout de quelques instants, cependant, il répliqua :

— Vous savez, maître Beauvoisin, les affaires sont les affaires.

— Parbleu ! dit le fermier qui était en veine de bonne humeur. Faites ce que je ne dis pas.

— Voyons, lui donneriez-vous dix sacs de blé sans argent ?

— Assurément non, ils ne lui seraient d’aucune utilité. Je me contente de lui laisser quelques sous les mercredis, avec lesquels il va acheter du pain.

— Ou de l’eau-de-vie.

— Ça le regarde. Moi j’ai fait mon devoir de fermier qui ne se plaint pas trop des affaires et cela me suffit. Le reste ne me regarde pas. Et puis, voyez-vous, Trouillard, je ne suis pas un libre-penseur, moi. C’est sans doute pour cela que je ne pousse pas la fraternité aussi loin que vous.

— Ah ! si vous vous mettez à parler politique, s’écria Mme Beauvoisin, nous en avons pour longtemps, sans doute jusqu’au matin. Tiens, Théophile, nous nous sommes décidées, regarde.

— C’est bon, dit le cultivateur. Combien, Trouillard ?

— Deux cents franes.

— Oh ! oh ! trop cher, mon bonhomme. Voyons, ça se perdrait dans le fond d’un sac de blé.

— Sans doute, mais c’est tout au juste.

— Tout de même si je m’enrôlais dans votre société, n’y aurait-il point une petite diminution ?

— Aucune.

— Alors je n’insiste pas, et voilà vos deux cents francs. Drôle que les femmes aiment tant des choses qui ne servent à rien au point de vue de l’estomac.

— Il faut bien que tous les commerces vivent. Vous vendez du blé, moi, des bijoux, pourquoi auriez-vous des acheteurs et moi point ? Sous un régime de liberté, d’égalité et de fraternité…

— Des farces de votre libre-pensée, interrompit Beauvoisin. N’empêche que vous avez coulé votre collègue d’en