Aller au contenu

Page:Pour lire en traîneau - nouvelles entraînantes.pdf/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xviii
préface


quels êtres vit la mémoire de l’homme et de son œuvre.

« C’est toujours le problème difficile à résoudre, et qui fait apercevoir la tristesse possible de ces destinées de grands faiseurs de livres, des solitaires qui se sont mis tout entiers dans une œuvre, qui ont tout offert à la foule, et qui peuvent avoir un doute sur l’acceptation et la compréhension de leur cervelle et de leur cœur. Ils ont pu se demander, parvenus à la fin de leur journée, s’ils n’ont pas fait un marché de dupes, s’ils n’auraient pas mieux fait de vivre passionnément, avec toutes leurs ardeurs, toutes leurs forces vives, toutes leurs virilités et toutes les grâces de leur pensée. C’est l’idée qui vient à l’esprit, en lisant les lettres de Flaubert, se débattant et se lamentant dans sa solitude de Croisset, le Journal des Goncourt songeant avec amertume ou enthousiasme au sort de leurs livres, et c’est la même idée que se présente si l’on songe à Barbey d’Aurevilly, vieillard de quatre-vingts ans, mort dans l’étroite chambre d’hôtel garni de la rue Rousselet.

« S’il n’a pas eu des lecteurs par cent mille, Barbey d’Aurevilly a eu, tout au moins, des complices ignorés et sûrs dont les sensations de lectures ont été violentes et ineffaçables. Si son influence ne s’est pas exercée en étendue, elle s’est exercée en profondeur et ç’a été pour lui, s’il l’a deviné, une compensation du sort. Des cerveaux d’hommes et de femmes, on peut l’af-