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Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome I.djvu/52

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père passait pour étranger, et ce n’est que sur son témoignage que je me crois Grecque, quoiqu’il m’ait toujours caché le lieu de ma naissance. Il était pauvre, et n’ayant aucun talent pour acquérir plus de richesses, il m’éleva dans la pauvreté. Cependant je ne puis me rappeler aucune circonstance d’une misère que je n’ai jamais sentie.

« À peine étais-je âgée de six ans, que je me trouvai transportée à Patras ; je me souviens de ce nom, parce que c’est la première trace que ma mémoire conserve de mon enfance. L’abondance où je m’y trouvai après une vie fort dure, fit aussi sur moi des impressions qui n’ont pu s’effacer. J’avais mon père avec moi ; mais ce ne fut qu’après avoir passé plusieurs années dans cette ville, que je connus distinctement ma situation, en apprenant à quel sort j’étais destinée. Mon père, sans être esclave, et sans m’avoir vendue, s’était attaché au gouverneur turc. Quelques agréments qu’on trouvait dans ma figure, lui avaient servi de recommandation auprès du gouverneur, qui s’était engagé à le nourrir pendant toute sa vie, et à me faire élever avec soin, sans autre condition que de me livrer à lui lorsque j’aurais atteint l’âge qui répond au désir des hommes. Avec un logement et la nourriture, mon père obtint un petit emploi. J’étais élevée sous ses yeux, mais par une esclave du gouverneur, qui attendit à peine que je fusse à l’âge de dix ans pour me parler du bonheur