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Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome I.djvu/54

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principes. Je n’ai pas connu non plus dans ces premiers temps les désirs dont se forment les passions. Ma situation était celle de l’habitude. Elle a duré jusqu’au temps que le gouverneur avait fixé pour m’approcher de lui. Son fils, mon père, et l’esclave qui avait été chargée du soin de mon enfance, tombèrent dans un embarras presqu’égal ; mais loin de le partager avec eux, j’étais encore persuadée que c’était au gouverneur que je devais appartenir. Il était fier et cruel. Mon père, qui avait compté mal à propos sur sa mort, se vit si pressé par le temps, que s’étant abandonné à ses craintes il résolut de prendre la fuite avec moi, sans s’ouvrir ni à l’esclave ni au jeune Turc. Mais son entreprise fut si malheureuse que nous fûmes arrêtés avant que d’avoir gagné le port.

« N’étant point esclave, son évasion n’était point un crime qui pût l’exposer au supplice. Cependant il essuya tous les emportements du gouverneur, qui lui reprocha non seulement sa fuite comme une trahison, mais tous les bienfaits qu’il avait reçus de lui comme un vol. Je fus renfermée dès le même jour au sérail. On m’annonça la nuit suivante que j’aurais l’honneur d’être comptée parmi les femmes de mon maître. Je reçus cette déclaration comme une faveur, et n’ayant point pénétré les raisons qui avaient obligé mon père à fuir, je m’étais étonnée qu’il eût voulu renoncer tout d’un coup à sa fortune et à la mienne.