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Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/147

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je ne croirai pas être quitte en versant tout mon sang pour vous servir. »

Nous ne nous séparâmes qu’après être convenus du temps et du lieu où nous devions nous retrouver. Il eut la complaisance de ne pas me remettre plus loin que l’après-midi du même jour.

Je l’attendis dans un café, où il vint me rejoindre vers les quatre heures, et nous prîmes ensemble le chemin de l’hôpital. Mes genoux étaient tremblants en traversant les cours. « Puissance d’amour ! dis-je, je reverrai donc l’idole de mon cœur, l’objet de tant de pleurs et d’inquiétudes ! Ciel ! conservez-moi assez de vie pour aller jusqu’à elle, et disposez après cela de ma fortune et de mes jours ; je n’ai plus d’autre grâce à vous demander. »

M. de T*** parla à quelques concierges de la maison, qui s’empressèrent de lui offrir tout ce qui dépendait d’eux pour sa satisfaction. Il se fit montrer le quartier où Manon avait sa chambre, et l’on nous y conduisit avec une clef d’une grandeur effroyable qui servit à ouvrir sa porte. Je demandai au valet qui nous menait, et qui était celui qu’on avait chargé du soin de la servir, de quelle manière elle avait passé le temps dans cette demeure. Il nous dit que c’était une douceur angélique ; qu’il n’avait jamais reçu d’elle un mot de dureté ; qu’elle avait versé continuellement des larmes pendant les six premières semaines après son arrivée ; mais que depuis quelque temps elle paraissait prendre son malheur avec plus de patience, et qu’elle était occupée à coudre du matin jusqu’au soir, à la réserve de quelques heures qu’elle employait à la