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Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/170

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manière dont elle avait passé le jour. Étrange fille ! me disais-je à moi-même : que dois-je attendre de ce prélude ? L’aventure de notre première séparation me revint à l’esprit. Cependant je croyais voir dans le fond de sa joie et de ses caresses un air de vérité qui s’accordait avec les apparences.

Il ne me fut pas difficile de rejeter la tristesse dont je ne pus me défendre pendant notre souper, sur une perte que je me plaignais d’avoir faite au jeu. J’avais regardé comme un extrême avantage que l’idée de ne pas quitter Chaillot le jour suivant fût venue d’elle-même. C’était gagner du temps pour mes délibérations. Ma présence éloignait toutes sortes de craintes pour le lendemain ; et si je ne remarquais rien qui m’obligeât de faire éclater mes découvertes, j’étais déjà résolu de transporter, le jour d’après, mon établissement à la ville, dans un quartier où je n’eusse rien à démêler avec les princes italiens. Cet arrangement me fit passer une nuit plus tranquille ; mais il ne m’ôtait pas la douleur d’avoir à trembler pour une nouvelle infidélité.

À mon réveil, Manon me déclara que, pour passer le jour dans notre appartement, elle ne prétendait pas que j’en eusse l’air plus négligé, et qu’elle voulait que mes cheveux fussent accommodés de ses propres mains. Je les avais fort beaux. C’était un amusement qu’elle s’était donné plusieurs fois. Mais elle y apporta plus de soins que je ne lui en avais jamais vu prendre. Je fus obligé, pour la satisfaire, de m’asseoir devant sa toilette, et d’essuyer toutes les petites recherches qu’elle imagina pour ma parure. Dans le cours de son travail, elle me