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Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/254

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Elle se leva malgré sa faiblesse ; elle me prit par la main pour me conduire vers la porte : « Fuyons ensemble, me dit-elle, ne perdons pas un instant. Le corps de Synnelet peut avoir été trouvé par hasard, et nous n’aurions pas le temps de nous éloigner. — Mais, chère Manon, repris-je tout éperdu, dites-moi donc où nous pouvons aller ? Voyez-vous quelque ressource ? Ne vaut-il pas mieux que vous tâchiez de vivre ici sans moi, et que je porte volontairement ma tête au gouverneur ? »

Cette proposition ne fit qu’augmenter son ardeur à partir, il fallut la suivre. J’eus encore assez de présence d’esprit, en sortant, pour prendre quelques liqueurs fortes que j’avais dans ma chambre, et toutes les provisions que je pus faire entrer dans mes poches. Nous dîmes à nos domestiques, qui étaient dans la chambre voisine, que nous partions pour la promenade du soir (nous avions cette coutume tous les jours) ; et nous nous éloignâmes de la ville plus promptement que la délicatesse de Manon ne semblait le permettre.

Quoique je ne fusse pas sorti de mon irrésolution sur le lieu de notre retraite, je ne laissais pas d’avoir deux espérances, sans lesquelles j’aurais préféré la mort à l’incertitude de ce qui pouvait arriver à Manon. J’avais acquis assez de connaissance du pays, depuis près de dix mois que j’étais en Amérique, pour ne pas ignorer de quelle manière on apprivoisait les sauvages. On pouvait se mettre entre leurs mains sans courir à une mort certaine. J’avais même appris quelques mots de leur langue et quelques-unes de leurs coutumes, dans les