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Page:Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres, Année 2, 1858.djvu/205

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mes qui lui ont fait du mal : il aime ceux qui l’honorent de leur amitié, et le poursuivent de leurs bienfaits. Les noms chers à son cœur viennent, à chaque instant, prendre place dans ses vers. Il les entoure de ses hommages, et il voudrait que chaque Romain leur rendit le culte pieux par lequel se produit l’ardente reconnaissance de son âme.

Tout cela est simple, vif, élégant, naturel : il n’y a pas de trace d’imitation grecque. Ce n’est pas comme poète, que Tibulle chante les plaisirs purs de la campagne, célèbre les douceurs d’une vie sans ambition, et publie les louanges de Messala, avec celles de tant d’amis dévoués ; c’est parce qu’il obéit à un sentiment intime, qu’il se laisse aller à une douce effusion, et qu’il agit sous l’empire d’une de ces sollicitations pressantes, véritable inspiration de la poésie et de l’éloquence.

Le second aspect de la vie et des œuvres de Tibulle est plus agité : il est moins pur. L’amour l’absorbe tout entier, avec ses incertitudes, ses angoisses, ses déceptions, ses tortures. S’il est heureux du présent, il est toujours inquiet pour l’avenir ; si les apparences le rassurent, la réalité l’effraie. Ces sentiments divers se mêlent dans ses élégies, et leur donnent un mouvement que n’a pas ordinairement ce genre d’ouvrage. Au délire de la passion, aux plaintes ardentes que fait exhaler une trahison toujours imméritée, viennent se mêler des tableaux d’une fraîcheur et d’une délicatesse ravissantes, que le contraste appelle de lui-même, et qui prennent leur place sans effort.

Du reste, quel que soit le désordre de cet esprit inquiet, quelles que soient les agitations de ce cœur tourmenté, Tibulle est toujours bien loin du ton licencieux de Catulle. Tout s’idéalise en lui. Ce n’est pas la passion brutale qu’il peint, c’est le transport de l’âme : et sa poésie y gagne en pureté autant qu’en élévation. Ce n’est pas sur des tableaux d’une nudité révoltante qu’il arrête nos regards, mais sur la plaie faite à son cœur par l’oubli des