Page:Proudhon - De la Capacité politique des classes ouvrières.djvu/218

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comme sa pensée fondamentale le droit pour chaque confédéré de faire sécession, pourrait-il ensuite agir d’ensemble et se soutenir ?

L’objection, il faut l’avouer, était sans réponse, tant que les États confédérés étaient constitués en dehors du droit économique et de la loi de mutualité : la divergence des intérêts devait tôt ou tard amener des scissions funestes, et l’unité monarchique remplacer l’équivoque républicaine. Maintenant tout est changé : l’ordre économique est fondé sur des données entièrement différentes ; l’esprit des États n’est plus le même, la confédération, dans la vérité de son principe, est indissoluble. La Démocratie, si hostile à toute pensée de scission, surtout en France, n’a rien à craindre.

Rien de ce qui divise les hommes, cités, corporations, individus, n’existe plus entre les groupes mutuellistes : ni pouvoir souverain, ni concentration politique, ni droit dynastique, ni liste civile, ni décorations, ni pensions, ni exploitation capitaliste, ni dogmatisme, ni esprit de secte, ni jalousie de parti, ni préjugé de race, ni rivalité de corporation, de ville ou de province. Il peut y avoir des diversités d’opinions, de croyances, d’intérêts, de mœurs, d’industries, de cultures, etc. Mais ces diversités sont la base même et l’objet du mutuellisme : elles ne peuvent par conséquent dégénérer en aucun cas, en intolérance d’Église, suprématie pontificale, prépotence de localité ou de capitale, prépondérance industrielle ou agricole. Les conflits sont impossibles : pour qu’ils renaissent, il faudrait détruire la mutualité[1].

  1. Un fait peu connu, et des plus intéressants, mettra cette vérité dans tout son jour. Dans certaines localités du département du Doubs, arrondissement de Montbéliard, où la population est moitié catholique, moitié protestante, il n’est pas rare que le même édifice serve tour à tour, à des heures différentes, aux deux cultes, et cela sans la moindre impatience d’aucun côté. Évidemment ces bonnes gens ont dû s’entendre ; ils ont fait entre eux, pour l’exercice de leur culte, un pacte de tolérance mutuelle ; et la mutualité exclut toute pensée de conflit. Il est inouï que dans ces villages on n’ait vu personne passer d’une religion à l’autre ; il ne l’est pas moins qu’il ait été commis, par un religionnaire quelconque, aucune agression, aucun acte de zélotisme. Depuis quelques années l’archevêque de Besançon a commencé à semer la désunion : il fait bâtir, pour ses ouailles, des églises séparées. Un véritable ami de la paix et de l’humanité eût simplement proposé de rendre la maison de Dieu plus grande et plus belle ; aurait compris que cette église-temple était le plus beau monument élevé par la main des hommes à la charité chrétienne. L’archevêque ne l’entend pas ainsi. Autant qu’il dépend de lui il oppose religion à religion, église à église, cimetière à cimetière. Quand viendra le jugement dernier, le Christ n’aura plus qu’à prononcer la sentence, la séparation des fidèles et des impies sera toute faite.