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que devient la Justice ? Et si la Justice périt, que devient la société ?

Que si l’on prétend au contraire qu’à Dieu seul il appartient d’attester la loi, de la garantir et d’en procurer l’observance, qu’ainsi le sentiment que chacun a de son droit ne devient respect du droit des autres que par un effet de la religion, il faut dire que la Justice est en nous une prétention sans fondement, et que l’homme est le vassal de la Divinité. Dès lors c’est la dignité humaine qui est en péril, et de nouveau la religion s’en allant, adieu la Justice et la société.

Impossible d’échapper à ce dilemme. Toute cette jurisprudence doublée de religion est comme une épée que les uns se flattent de faire tenir debout sur le pommeau, les autres sur la pointe, et qui perd toujours l’équilibre.

L’histoire confirme pleinement cette critique.

IX

La société gréco-romaine élevait haut la personne : là est sa gloire. Dans la théologie qu’elle s’était faite, une sorte de consanguinité unissait les hommes et les dieux ; ils traitaient pour ainsi dire de famille à famille, de puissance à puissance. Dans l’Iliade, tous les malheurs des Grecs viennent de la colère d’Achille, à qui Agamemnon a perdu le respect, ἠτιμῄσεν, devant l’armée. Les dieux s’interposent pour réconcilier les deux chefs ; mais l’Olympe se divise à son tour ; une partie se déclare pour les Grecs, l’autre pour les Troyens. Homère, le chantre de ces individualités susceptibles, devient le théologien, le législateur des Grecs. Chaque ville, chaque tribu choisit un Immortel, avec qui elle se lie comme par un contrat. Les rois descendent de Jupiter ; Jupiter est la souche commune de laquelle sont issus les dieux et les héros. Quelle exaltation d’amour-propre devait exciter chez les