Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/523

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fédération. Établissez dans les vingt-deux cantons l’unité administrative et judiciaire, telle que l’entendent les princes, à la première occasionna la moindre menace de guerre, vous aurez une royauté. Qu’était la Convention elle-même ? Son nom le prouve : une assemblée de fédérés.

Or, ce qui est vrai des états doit l’être, par une égale raison, des villes et districts d’un même état : le fédéralisme est la forme politique de l’humanité.

D. — Que deviennent, dans cette fédération où la ville est autant que la province, la province autant que l’empire, l’empire autant que le continent, où tous les groupes sont politiquement égaux, que deviennent les nationalités ?

R. — Le sentiment de la patrie est comme celui de la famille, de la possession territoriale, de la corporation industrielle, un élément indestructible de la conscience des peuples. Mais il y a loin de la reconnaissance de cet élément à l’idée d’en faire le principe ou le prétexte de certaines restaurations devenues au moins inutiles, pour ne pas dire impraticables.

La démocratie a fait grand bruit, depuis trente ans, du rétablissement de la Pologne, de l’Italie, de la Hongrie, de l’Irlande, et de je ne sais combien d’autres nations, dans leurs prérogatives gouvernementales ; il semble encore aujourd’hui à plusieurs que pour opérer la révolution sociale il soit indispensable de commencer par là. Ce qu’il y a de pis est qu’à cette idée de restauration politique se joint celle d’une centralisation administrative, aussi dangereuse pour la liberté qu’incompatible avec le génie des peuples. C’est ne rien comprendre à la Révolution, et, en paraissant servir la liberté du monde, travailler pour le statu quo. Ceux qui parlent tant de rétablir les libertés nationales ont peu de goût pour les libertés individuelles. L’égalité des états est le prétexte dont ils se servent pour esquiver l’égalité des conditions et des fortunes. Ce qu’ils veulent, c’est la continuation, au profit de leur vanité, du fatalisme politique. Ils feignent de ne pas voir que c’est ce fatalisme qui a fait tomber en tutelle les nations qu’ils prétendent émanciper, et dont on aurait tort au surplus de dire que par leur lâcheté, leur corruption, leur fanatisme ou leur sottise,