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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/104

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la perte de son procès, quelque blâmable que soit une telle conduite, on la conçoit cependant ; mais qu’il plaide la torche d’une main, l’escopette de l’autre, c’est ce qui ne s’est jamais vu et qui est absurde. Telle est la guerre cependant, malgré les apparences justicières dont elle s’environne, malgré la discipline dont les gens de guerre font si grand étalage.

Ce qu’il y a de plus étrange, est qu’on ne saurait rejeter tout ce mal sur l’emportement des passions, l’entraînement du combat, l’indiscipline du soldat, le crime de quelques individualités perverses que la paix, amie de l’ordre, oblige à se cacher, et que la licence des camps produit et encourage. Il faudrait accuser bien plutôt les chefs d’armée et les chefs d’État, qui tous, par une sorte de pacte tacite, avec une effrayante bonne foi, emploient les uns contre les autres les moyens de destruction les plus effrayants. De la part du soldat en campagne la maraude s’explique par la faim, le viol par la continence prolongée, et surtout par la surexcitation des facultés vitales que produit le combat. Le massacre a son principe dans la chaleur de l’action et la soif de la vengeance. Mais que sont ces excès d’un moment à côté des destructions calculées, systématiques, dont le soldat n’est que l’aveugle et irresponsable agent ? De la part des généraux et des hommes de gouvernement l’excuse des passions n’est plus admissible ; et l’on est fondé à demander comment des esprits supérieurs, qui sans cesse parlent du droit et des lois de la guerre ; qui, s’ils ne les font pas, les commentent et les appliquent ; des hommes qu’aucune passion n’entraîne, pas même celle du combat ; qu’aucun besoin ne sollicite, pas même la faim, peuvent de sang-froid donner des ordres d’extermination, organiser la guerre en dérision de ses lois essentielles, sans la moindre utilité ni pour leur gloire ni pour leur cause.