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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/126

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preneur, du négociant, du fonctionnaire, prélèvement sur le travail ; le budget du luxe, par conséquent, prélèvement sur le nécessaire. Donc n’ayez pas de regret ; acceptez virilement la situation qui vous est faite, et dites-vous, une fois pour toutes, que le plus heureux des hommes est celui qui sait le mieux être pauvre.

L’antique sagesse avait entrevu ces vérités. Le christianisme posa le premier, d’une manière formelle, la loi de pauvreté, en la ramenant toutefois, comme c’est le propre de tout mysticisme, au sens de sa théologie. Réagissant contre les voluptés païennes, il ne pouvait considérer la pauvreté sous son vrai point de vue ; il la fit souffrante dans ses abstinences et dans ses jeûnes, sordide dans ses moines, maudite du ciel dans ses expiations. A cela près, la pauvreté glorifiée par l’Évangile est la plus grande vérité que le Christ ait prêchée aux hommes.

La pauvreté est décente ; ses habits ne sont pas troués, comme le manteau du cynique ; son habitation est propre, salubre et close ; elle change de linge une fois au moins chaque semaine ; elle n’est ni pâle ni affamée. Comme les compagnons de Daniel, elle rayonne de santé en mangeant ses légumes ; elle a le pain quotidien, elle est heureuse.

La pauvreté n’est pas l’aisance ; ce serait déjà, pour le travailleur, de la corruption. Il n’est pas bon que l’homme ait ses aises ; il faut au contraire qu’il sente toujours l’aiguillon du besoin. L’aisance serait plus encore que de la corruption, ce serait de la servitude ; et il importe que l’homme puisse, à l’occasion, se mettre au dessus du besoin et se passer même du nécessaire. Mais la pauvreté n’en a pas moins ses joies intimes, ses fêtes innocentes, son luxe de famille, luxe touchant, que fait ressortir la frugalité accoutumée du ménage.

A cette pauvreté inévitable, loi de notre nature et de notre société, il est évident qu’il n’y a pas lieu de songer à