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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/175

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pour la beauté du corps, l’acuité de l’esprit, la poésie, la langue, le génie des sciences et des arts. Mais au quatrième siècle avant J.-C. le sens juridique est faible, le droit des gens se dégage à peine, le droit de la force s’affirme cyniquement dans le sens le plus abusif, la vie collective est à peu près nulle, l’individualisme poussé à outrance. L’ancienne civilisation grecque s’est développée, le culte des poèmes d’Homère en fait foi, sous l’influence de l’idéal héroïque, qui n’est autre que celui du guerrier pillard. Aussi n’est-ce pas le trait le moins extraordinaire de cette race privilégiée, qu’elle ait grandi et se soit illustrée dans des conditions qui semblent incompatibles avec l’essor du génie ; tandis qu’on la voit s’affaisser et disparaître au moment juste où la liberté du pillage lui est ôtée, au moment où, par le généralat du roi de Macédoine, il ne lui est plus permis de s’écharper de ses propres mains.

Serait-il donc vrai que chez certaines races les facultés les plus éminentes ne se développent qu’à l’ombre des vices les plus monstrueux ? Ce qui prouve que les Grecs modernes sont bien les fils des anciens, c’est qu’ils ont conservé l’esprit dorien, subtil, sophistique, indomptable, par-dessus tout âpre à la curée. Mais que voulez-vous qu’ils fassent dans une civilisation qui tend à équilibrer toutes choses, où la science ne laisse plus de place au sophisme, où la philosophie a dévoilé le mystère de toutes les contradictions, où l’esprit d’entreprise remplace l’esprit d’aventure, où le progrès du droit des gens ôte à la guerre sa poésie, et rend impossibles la tragédie et l’épopée ? Sous certains rapports la Grèce anarchique de l’antiquité a beaucoup de ressemblance avec l’Italie du moyen âge ; sous d’autres, elle rappelle ces montagnards du Caucase, beaux, héroïques comme furent les Grecs, et que les czars, avec leur puissance colossale, ont eu tant de peine à forcer. Nous ne savons ce que l’avenir réserve à ces peuplades en-