Aller au contenu

Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poètes la célèbrent, est une lutte d’énergie, de bravoure, de constance, de prudence, d’industrie même, si l’on veut ; on en fait un assaut d’extermination. Passe encore s’il s’agissait de brigands à détruire, de flibustiers, de négriers, auxquels les nations ne doivent ni merci ni miséricorde. Mais entre citoyens, combattant, non pour le pillage, mais pour la liberté et la suprématie de leur pays, pareille interprétation du droit de la guerre répugne.

Une déloyauté en amène une autre. Est-il permis à la guerre de tromper l’ennemi, tranchons le mot, de mentir ? — Certainement, répond Grotius ; et le voilà qui se jette dans une longue dissertation, dont la substance est que, hormis ce qui a été convenu par traité après la guerre, et qui a pour objet de régler la situation à nouveau, toute tromperie ayant pour but de faire tomber l’ennemi dans un piége est de bonne guerre. A cette occasion il émet la dangereuse maxime, renouvelée de Machiavel et des Jésuites : Qu’il est licite de mentir par raison d’état et pour cause de religion. C’est le cas de dire, en parodiant Horace : Dulce et decorum est pro patria mentiri.

Admettons pour un moment cette singulière jurisprudence, que la tromperie étant de droit à la guerre n’implique ni crime ni délit. Pourquoi, alors, fusiller les espions, au lieu de les faire simplement prisonniers ? Comment ! voici un tirailleur qui, couché à plat ventre, comme un chacal, derrière un buisson, tire sur un bataillon qui passe et qui ne l’aperçoit seulement pas. Qu’on se mette à sa poursuite et qu’on l’atteigne, il sera probablement passé par les armes, vitam pro vita, à quoi je n’ai rien à dire. Mais qu’il parvienne à s’échapper, et que le lendemain, dans une affaire générale, il soit fait prisonnier : en supposant qu’on le reconnaisse, on n’a plus le droit de le tuer pour le fait de la veille ; il n’aura fait que son métier de combattant. En sorte que le flagrant délit