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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/43

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dat. Ce n’est plus dans ce cas la nécessité qui parle, c’est la cupidité. Ici, l’on peut dire que la science du juriste et l’honneur militaire ont subi une éclipse complète.

S’il est permis, disent nos casuistes, de frapper l’ennemi, même désarmé et dans son sommeil, et de lui ôter la vie, à plus forte raison le sera-t-il de lui prendre son bien. A cet égard, les auteurs même les plus récents n’éprouvent pas le moindre scrupule. Ils se sentent à l’aise. Neque est contra naturam spoliare eum, si possis, quem honestum est necare, dit Cicéron, après Aristote, Platon, et toute la sagesse antique. Grotius, Vattel, et la masse des juristes, opinent à leur tour du bonnet et de la voix, des mains et des pieds, en faveur du droit de butiner. Il n’y a pas même d’exception pour les choses sacrées : rien de ce qui appartient à l’ennemi ne pouvant être sacré pour le vainqueur, ajoute le Digeste : Quum loca capta sunt ab hostibus, omnia desinunt vel religiosa vel sacra esse.

Ce qui donne envie de rire, est de voir le pieux et honnête Grotius faire une petite réserve pour le cas où vainqueurs et vaincus professeraient le même culte. Alors, dit-il, il y a conscience. Toutefois, comme ces objets font partie du domaine public, et que rien n’est plus aisé que de les déconsacrer, il est permis, avec tout le respect dû aux choses saintes, de les prendre. L’église suit la condition des paroissiens ! N’est-ce pas joli ? En Italie et en Espagne, certains de nos généraux n’attendaient pas la déconsécration ; il est vrai que par la révolution ils étaient devenus mécréants. Que dire de plus ? Il est permis, en vue du pillage, de violer jusqu’aux tombeaux. Pourvu qu’on ne s’écarte pas du respect dû aux cadavres, observe le grave auteur du traité De jure belli ac pacis, une pareille violation n’a rien que de licite, les tombeaux après tout étant la propriété des vivants, non celle des morts.

Je reviendrai, au livre suivant, sur la question des dé-