Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/354

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plus près ce côté de notre caractère, qui me semble avoir échappé jusqu’ici aux observateurs.

La nation française, quoique frondeuse et remuante, curieuse de nouveautés, incapable d’une discipline exacte, riche en esprits inventifs et en caractères entreprenants, n’en est pas moins, au fond, et prise en masse, le représentant, en toute chose, du juste-milieu et de la stabilité. Toutes les qualités ayant leurs défauts, celle-là aussi a les siens, que je ne dissimulerai pas : en somme , elle atteste la hauteur et la fermeté de notre jugement. C’est l’extrême liberté de notre raison, non l’inertie de notre intelligence, qui nous ramène sans cesse à l’indifférentisme, et amortit en nous la passion, seule capable de soutenir la volonté hors des routes battues. Est-ce que ce tempérament à la fois inquiet et moutonnier ; cette humeur railleuse et mobile, mais sitôt revenue ; cette intelligence sagace, mais sceptique et simple, ne se révèle pas tout entière dans la placidité, la régularité, la familiarité de notre langue ?... À chaque idée qui nous vient, à chaque proposition qui nous est faite, nous finissons, tout bien considéré, examiné, critiqué, par répondre : À quoi bon ? qu’est-ce que cela nous fait ? en vaudrons-nous mieux ? en serons-nous plus riches ?... et cent autres phrases qu’on pourrait considérer comme les rubriques de la routine. Fatuité ou raison, nous nous trouvons bien : dès lors, pourquoi nous tourmenter et changer ? Restons chez nous ! Revenons à nos moutons ! c’est notre perpétuelle antienne.

Toutes nos fautes, tous nos ridicules, de même que nos défaites et nos succès, viennent de là.

Que de fois, par suite de cette méfiance innée pour la spéculation et l’inconnu, nous avons fait faux bond au progrès ! En religion, nous avons repoussé obstinément la Réforme : ayant déjà une église catholique, apostolique, romaine, gallicane, que nous importait d’ajouter encore à ces titres,