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Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/328

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leur effet : de là les mécomptes du travail, de là les surprises de la misère. Ainsi, la concurrence, par son côté positif et social, a bien pour but de réduire indéfiniment le prix des choses, conséquemment d’augmenter sans cesse la somme des valeurs et de mettre la production en avance de la population ; mais, par son côté négatif et égoïste, la concurrence tourne de richesse à pauvreté, puisque la réduction de prix qu’elle entraîne, d’un côté ne profite qu’aux vainqueurs, de l’autre laisse les vaincus sans travail et sans ressource. La concurrence, dit la théorie, doit enrichir tout le monde. Mais, par l’imperfection de l’organisme social, la pratique prouve que là où la concurrence est devenue générale, il y a juste autant de malheureux que d’enrichis : c’est ce dont il est impossible de douter, après la critique que nous avons faite.

Ce qu’il faut accuser ici est donc le vice propre de l’institution, l’insuffisance de l’idée. Il est prouvé désormais que cette nécessité de la misère, qui tout à l’heure nous a plongés dans la consternation, n’est point absolue ; c’est, comme dit l’école, une nécessité de contingence. Contre toute probabilité,la société souffre de cela même qui devait faire son salut. Toujours la misère est prématurée, toujours le paupérisme anticipe : à l’encontre du sauvage, à qui la disette vient par l’inertie, elle nous vient à nous par l’action, et notre travail ajoute sans cesse à notre indigence. Que les économistes, avant d’accuser la nécessité, commencent par reformer leurs routines : Medice, cura te ipsum.

Qu’est-il besoin de continuer cette revue, et dans ce chapitre où il doit me suffire d’exprimer une conclusion générale, de faire rentrer tout mon ouvrage ? J’ai montré la société cherchant de formule en formule, d’institution en institution, cet équilibre qui lui échappe, et toujours, à chaque tentative, faisant croître en proportion égale son luxe et sa misère. Une fois parvenue à la communauté, la société se retrouve à son point de départ : l’évolution économique est accomplie, le champ de l’investigation est épuisé. L’équilibre n’ayant pu être atteint, il ne reste d’espoir que dans une solution intégrale qui, synthétisant les théories, rende au travail son efficacité, et à chacun de ses organes sa puissance. Jusque-là, le paupérisme reste aussi invinciblement attaché au travail que la misère l’est à la fainéantise, et toutes nos récriminations contre la Providence ne prouvent que notre imbécillité.