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Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/253

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nouvelles comme de mon cher Amanien. On en prend même trop. Cela le fatigue. Il faut le laisser souffler. On le tue, cet homme, en envoyant tout le temps chez lui. »

— Eh bien ! dit la duchesse au valet de pied qui se retirait, j’avais demandé qu’on montât la photographie enveloppée que m’a envoyée M. Swann.

— Madame la duchesse, c’est si grand que je ne savais pas si ça passerait dans la porte. Nous l’avons laissé dans le vestibule. Est-ce que madame la duchesse veut que je le monte ?

— Eh bien ! non, on aurait dû me le dire, mais si c’est si grand, je le verrai tout à l’heure en descendant.

— J’ai aussi oublié de dire à madame la duchesse que Mme la comtesse Molé avait laissé ce matin une carte pour madame la duchesse.

— Comment, ce matin ? dit la duchesse d’un air mécontent et trouvant qu’une si jeune femme ne pouvait pas se permettre de laisser des cartes le matin.

— Vers dix heures, madame la duchesse.

— Montrez-moi ces cartes.

— En tout cas, Oriane, quand vous dites que Marie a eu une drôle d’idée d’épouser Gilbert, reprit le duc qui revenait à sa conversation première, c’est vous qui avez une singulière façon d’écrire l’histoire. Si quelqu’un a été bête dans ce mariage, c’est Gilbert d’avoir justement épousé une si proche parente du roi des Belges, qui a usurpé le nom de Brabant qui est à nous. En un mot nous sommes du même sang que les Hesse, et de la branche aînée. C’est toujours stupide de parler de soi, dit-il en s’adressant à moi, mais enfin quand nous sommes allés non seulement à Darmstadt, mais même à Cassel et dans toute la Hesse électorale, les landgraves ont toujours tous aimablement affecté de nous céder le pas et la première place, comme étant de la branche aînée.