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Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/67

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que lui-même signait prince Von, ou, quand il écrivait à des intimes, Von. Encore cette abréviation-là se comprenait-elle à la rigueur, à cause de la longueur d’un nom composé. On se rendait moins compte des raisons qui faisaient remplacer Élisabeth tantôt par Lili, tantôt par Bebeth, comme dans un autre monde pullulaient les Kikim. On s’explique que des hommes, cependant assez oisifs et frivoles en général, eussent adopté « Quiou » pour ne pas perdre, en disant Montesquiou, leur temps. Mais on voit moins ce qu’ils en gagnaient à prénommer un de leurs cousins Dinand au lieu de Ferdinand. Il ne faudrait pas croire du reste que pour donner des prénoms les Guermantes procédassent invariablement par la répétition d’une syllabe. Ainsi deux sœurs, la comtesse de Montpeyroux et la vicomtesse de Vélude, lesquelles étaient toutes deux d’une énorme grosseur, ne s’entendaient jamais appeler, sans s’en fâcher le moins du monde et sans que personne songeât à en sourire, tant l’habitude était ancienne, que « Petite » et « Mignonne ». Mme de Guermantes, qui adorait Mme de Montpeyroux, eût, si celle-ci eût été gravement atteinte, demandé avec des larmes à sa sœur : « On me dit que « Petite » est très mal. » Mme de l’Éclin portant les cheveux en bandeaux qui lui cachaient entièrement les oreilles, on ne l’appelait jamais que « ventre affamé ». Quelquefois on se contentait d’ajouter un a au nom ou au prénom du mari pour désigner la femme. L’homme le plus avare, le plus sordide, le plus inhumain du faubourg ayant pour prénom Raphaël, sa charmante, sa fleur sortant aussi du rocher signait toujours Raphaëla ; mais ce sont là seulement simples échantillons de règles innombrables dont nous pourrons toujours, si l’occasion s’en présente, expliquer quelques-unes. Ensuite je demandai au duc de me présenter au prince d’Agrigente. « Comment, vous ne connaissez pas cet excellent Gri-gri », s’écria M. de Guermantes, et il dit mon nom