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Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/288

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et de Gisèle, j’étais pour Albertine quelque chose de plus important que l’heure de rentrer, que ses amies, et pouvais même avoir avec elle de graves secrets auxquels il était impossible qu’on les mêlât. « Est-ce que nous ne te verrons pas ce soir ? — Je ne sais pas, ça dépendra de celui-ci. En tout cas à demain. — Montons dans ma chambre », lui dis-je, quand ses amies se furent éloignées. Nous prîmes l’ascenseur ; elle garda le silence devant le lift. L’habitude d’être obligé de recourir à l’observation personnelle et à la déduction pour connaître les petites affaires des maîtres, ces gens étranges qui causent entre eux et ne leur parlent pas, développe chez les « employés » (comme le lift appelle les domestiques) un plus grand pouvoir de divination que chez les « patrons ». Les organes s’atrophient ou deviennent plus forts ou plus subtils selon que le besoin qu’on a d’eux croît ou diminue. Depuis qu’il existe des chemins de fer, la nécessité de ne pas manquer le train nous a appris à tenir compte des minutes, alors que chez les anciens Romains, dont l’astronomie n’était pas seulement plus sommaire mais aussi la vie moins pressée, la notion, non pas de minutes, mais même d’heures fixes, existait à peine. Aussi le lift avait-il compris et comptait-il raconter à ses camarades que nous étions préoccupés, Albertine et moi. Mais il nous parlait sans arrêter parce qu’il n’avait pas de tact. Cependant je voyais se peindre sur son visage, substitué à l’impression habituelle d’amitié et de joie de me faire monter dans son ascenseur, un air d’abattement et d’inquiétude extraordinaires. Comme j’en ignorais la cause, pour tâcher de l’en distraire, et quoique plus préoccupé d’Albertine, je lui dis que la dame qui venait de partir s’appelait la marquise de Cambremer et non de Camembert. À l’étage devant lequel nous passions alors, j’aperçus, portant un traversin, une femme de chambre affreuse qui me