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Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/152

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qui n’avaient de chrétien que l’apparence surnageaient. Il implorait l’Archange Gabriel de venir lui annoncer, comme au prophète, dans combien de temps lui viendrait le Messie. Et s’interrompant d’un doux sourire douloureux, il ajoutait : « Mais il ne faudrait pas que l’Archange me demandât, comme à Daniel, de patienter « sept semaines et soixante-deux semaines », car je serai mort avant. » Celui qu’il attendait ainsi était Morel. Aussi demandait-il aussi à l’Archange Raphaël de le lui ramener comme le jeune Tobie. Et, mêlant des moyens plus humains (comme les Papes malades qui, tout en faisant dire des messes, ne négligent pas de faire appeler leur médecin), il insinuait à ses visiteurs que si Brichot lui ramenait rapidement son jeune Tobie, peut-être l’Archange Raphaël consentirait-il à lui rendre la vue comme au père de Tobie, ou comme dans la piscine probatique de Bethsaïda. Mais, malgré ces retours humains, la pureté morale des propos de M. de Charlus n’en était pas moins devenue délicieuse. Vanité, médisance, folie de méchanceté et d’orgueil, tout cela avait disparu. Moralement M. de Charlus s’était élevé bien au-dessus du niveau où il vivait naguère. Mais ce perfectionnement moral, sur la réalité duquel son art oratoire était, du reste, capable de tromper quelque peu ses auditeurs attendris, ce perfectionnement disparut avec la maladie qui avait travaillé pour lui. M. de Charlus redescendit sa pente avec une vitesse que nous verrons progressivement croissante. Mais l’attitude des Verdurin envers lui n’était déjà plus qu’un souvenir un peu éloigné que des colères plus immédiates empêchèrent de se raviver.

Pour revenir en arrière, à la soirée Verdurin, quand les maîtres de maison furent seuls, M. Verdurin dit à sa femme : « Tu sais où est allé Cottard ? Il est auprès de Saniette dont le coup de bourse pour