Aller au contenu

Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MÉLANGES

personne. Il y a longtemps de cela, dans le xive siècle, quand le peuple commença pour la première fois à trouver le christianisme trop grave, fit une foi plus joyeuse pour la France et voulut avoir partout une madone soubrette aux regards brillants, laissant sa propre Jeanne d’Arc aux yeux sombres se

    de pierre, ou des profondeurs d’ombre, font ressortir la forme de la statue tandis que le monde de la nature inférieure qu’ils méprisaient était retiré de leur cœur dans l’obscurité. Ici la statue drapée semble le type de l’esprit chrétien, sous beaucoup de rapports, plus faible et plus contractée mais plus pure ; revêtue de ses robes blanches et de sa couronne, et avec les richesses de toute la création à côté d’elle.
    Le premier degré du changement sera placé devant vous dans un instant, simplement en comparant cette statue de la façade ouest de Chartres avec celle de la Madone de la porte du transept sud d’Amiens.
    Cette Madone, avec la sculpture qui l’entoure, représente le point culminant de l’art gothique au xiiie siècle. La sculpture a progressé continuellement dans l’intervalle ; progressé simplement parce qu’elle devient chaque jour plus sincère et plus tendre et plus suggestive. Chemin faisant, la vieille devise de Douglas : « Tendre et vrai » peut cependant être reprise par nous tous pour nous-mêmes, non moins dans l’art que dans les autres choses. Croyez-le, la première caractéristique universelle de tout grand art est la tendresse, comme la seconde est la vérité. Je trouve ceci chaque jour de plus en plus vrai ; un infini de tendresse est le don par excellence et l’héritage de tous les hommes vraiment grands. Il implique sûrement en eux une intensité relative de dédain pour les choses basses et leur donne une apparence sévère et arrogante aux yeux de tous les gens durs, stupides et vulgaires, tout à fait terrifiante pour ceux-ci s’ils sont capables de terreur, et haïssable pour eux si ils ne sont capables de rien de plus élevé que la haine. L’esprit du Dante est le grand type de cette classe d’esprit. Je dis que le premier héritage est la tendresse — le second la vérité ; parce que la tendresse est dans la nature de la créature, la vérité dans ses habitudes et dans sa connaissance acquise ; en outre, l’amour vient le premier, aussi bien dans l’ordre de la dignité que dans celui

114