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Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/201

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à la gare de Crécy. Le jeune garçon s’y engagea. Mais il s’arrêta pour aspirer une dernière fois les odeurs de la nuit. Le vent faisait dans les hautes cimes une incertaine musique. Une lueur trembla au bout de l’avenue ; elle grandit et disparut : c’était une carriole attardée… Au loin, le sifflet d’une locomotive déchirait l’air. Jamais Maurice n’avait ressenti une telle plénitude de tristesse. Le voilà qui était seul, il avait perdu sa famille, le doux foyer, la tendresse, tout le charme délicat de la vie. Il pleurait d’aimer trop sa terre. L’odeur du sol natal l’obsédait et le poursuivait. C’est depuis que, tout jeune, il s’est grisé des foins et qu’il a aspiré l’humide et pénétrant parfum des prairies. Depuis !… Il s’est lancé dans les grandes routes du monde. Depuis, il est le nomade, perdu en un désert de deuil, accablé de nuit, de souvenir. Est-ce donc que cette terre ne lui suffit plus ? Est-ce donc que, sans foi et sans prêtres aujourd’hui, elle ne peut plus le contenter ? Est-ce donc que, vraiment, il l’a perdue, cette terre, et qu’il sent qu’un dur périple peut seul l’y ramener ?…

Maurice continuait sa route. Une petite auberge, tout près de la gare, l’invita à manger,