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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/113

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dans le lieu de ma naissance tant de gens de bien.

J’étais dans un grand embarras, quand j’entendis le précurseur du maître des hautes-œuvres s’égosiller et annoncer que mon oncle allait faire des siennes. Devant celui-ci marchait une procession d’hommes nus et ayant la tête découverte, pendant que mon oncle, glorieux de savoir manier le fouet, jouait en public, avec celui qu’il tenait à la main, des passacailles sur cinq luths à côtes dont les cordes étaient à la vérité de chair au lieu d’être en boyau. Je regardais cela avec un homme à qui j’avais fait entendre, en m’informant de mon oncle, que j’étais un gentilhomme d’une grande distinction. Mais à l’instant même mon digne oncle, ayant jeté les yeux sur moi, parce qu’il passait tout près, me reconnut et sauta à mon cou pour m’embrasser, en m’appelant son neveu. Je pensai mourir de honte et je m’en allai avec lui, sans dire adieu à l’homme avec qui j’étais. Il me dit : « Mon neveu, je vais achever d’expédier ces gens-là, mais tu peux venir, car nous nous en retournerons et tu dîneras aujourd’hui avec moi. » Comme j’étais à cheval et que je fis réflexion que dans cette enfilade j’aurais l’air de quelque chose de pis qu’un fouetté, je lui répondis que je l’attendrais là. Ainsi je le quittai si honteux que si le recouvrement de mon bien n’avait pas dépendu de lui, je ne l’aurais revu de ma vie et je ne me serais plus montré. Il finit de repasser les épaules aux patients ; après quoi il revint et me conduisit à sa maison, où je mis pied à terre, et où nous dinâmes.