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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/118

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ce que je t’ai écrit au sujet de ton père ? » Et je ne me le rappelai que trop bien. Ils mangèrent ensuite, mais moi je me contentai des croûtes, et depuis j’ai contracté l’usage de dire, toutes les fois que je mange des petits pâtés, un Ave Maria pour celui dont le corps sert ainsi de pâture.

On visita souvent deux grands pots de vin, de sorte que l’archer et le quêteur s’enivrèrent au point qu’ayant aperçu un plat de saucisses qui ressemblaient à des doigts de nègre, l’un d’eux demanda pourquoi l’on servait des mêches frites. Mon oncle était aussi dans un tel état qu’ayant allongé la main pour en prendre une, il me dit d’une voix un peu élevée et rauque, avec un œil à moitié fermé et l’autre qui distillait du vin : « Mon neveu, je te jure par ce pain de Dieu qu’il a créé à son image et ressemblance, que de ma vie je n’ai mangé de meilleure viande teinte. » Quand je vis ensuite l’archer qui, plongeant la main dans la salière, dit : « Cette sauce est bien chaude ! » et le porcher prendre une poignée de sel et la mettre toute dans sa bouche en disant : « Il faut la rendre plus piquante pour boire », je ne pus m’empêcher de rire, quoique j’enrageasse dans le fond de l’âme. On apporta du bouillon et le quêteur prit à deux mains une écuelle en disant : « Dieu a béni la propreté. » Mais au lieu de la diriger vers sa bouche pour avaler ce qu’il y avait, il la porta vers sa joue et la renversa toute entière, de sorte qu’il fut inondé de bouillon et se mit depuis la tête jusqu’aux pieds dans un état affreux. Quand il se vit