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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/163

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temps je cherchai ses mains, et comme elles étaient faites à recevoir de ces sortes de petits présents, il ne fit pas difficulté d’accepter le mien en disant : « Je verrai quelle est la maladie, et si elle n’est pas urgente, vous descendrez au caveau. » Je goûtai l’excuse, et je lui répondis avec humilité. Il me laissa dehors, et mena en bas mes compagnons d’infortune et de friponnerie.

Je ne m’arrête pas à raconter combien d’éclats de rire il nous fallut essuyer, et dans la prison et dans les rues, parce que, comme on nous amenait garrottés et en nous poussant avec violence, les uns sans manteau, les autres traînant le leur par terre, il était plaisant de voir des corps bigarrés de pièces et de morceaux de différentes couleurs. Pour tenir celui-ci par quelque endroit sûr, parce que tout ce qu’il avait était pourri sur lui, il fallait le saisir par la chair, et encore n’en trouvait-on pas, tant il était desséché par la faim. D’autres laissaient des morceaux de leurs habits et de leurs culottes dans les mains des archers. En ôtant la corde qui les liait, elle emportait avec elle des lambeaux de leurs haillons.

Enfin la nuit venue, j’allai coucher dans la salle des gens au-dessus du commun, et l’on me donna un petit lit. Il fallait voir comment les uns restaient dans leurs gaines, sans rien quitter de ce qu’ils portaient de jour ; et comment d’autres mettaient bas en une seule fois tout ce qu’ils avaient sur eux. Quelques-uns jouaient ; mais à la fin, la porte ayant été