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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/215

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Nous partîmes, hommes et femmes mêlés ensemble. Une de celles-ci, qui était la danseuse, et qui dans les comédies représentait les reines et jouait les principaux rôles, me parut extrêmement libertine. Je pris du goût pour elle et, désirant de satisfaire ma passion, je le témoignai à son mari qui était à côté de moi, sans que je susse à qui je parlais. Je lui dis : « Par ordre de qui pourrait-on parler à cette femme pour dépenser avec elle une vingtaine d’écus ? Car elle me paraît charmante. » – « Il ne me convient, nullement, à moi qui suis son mari, me répondit-il, ni de satisfaire à votre demande, ni de me mêler de cela. Mais, pour parler sans passion, car je n’en ai aucune, on peut faire avec elle telle dépense que l’on veut, parce qu’elle est fort badine, et qu’il n’y a pas de meilleure pâte de femme sur terre. » En achevant ces mots, il sauta à bas du chariot et monta dans l’autre, pour me laisser, sans doute, la liberté de parler à sa femme. Sa réponse me plut fort, et je compris que l’on peut dire de ces sortes d’hommes, qu’ils ont des femmes comme s’ils n’en avaient pas, et de leurs femmes, qu’elles n’ont des maris que de nom. Je profitai de l’occasion. La comédienne me demanda où j’allais, me questionna sur ma fortune et sur ma manière de vivre. Enfin, après bien des paroles, nous remîmes la conclusion de l’affaire à Tolède.

Nous faisions la route très gaiement, et il m’arriva par hasard de réciter un lambeau de la Comédie de Saint-Alexis, que j’avais appris dans ma jeunesse et qui s’offrit alors à mon esprit. Je le débitai de manière