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Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/71

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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

est le sens du mot latin trepidatio ? Il ne désigne rien qui ressemble à de la panique, il représente tout aussi bien le va-et-vient à pas précipités qui précède une bataille, que celui d’une déroute ; le mot anglais agitation est celui qui le rend le mieux. Cette trépidation s’accroît à la vue et à l’ouïe à chaque demi-mille, d’une manière très analogue à ce qui doit se passer pour le Niagara, dont le rugissement, de même que la vibration qu’il imprime au sol, doit se rapprocher de l’oreille dans les dix derniers milles, lorsque le vent est favorable, au point de couvrir et d’éteindre tous les autres bruits, quels qu’ils soient.

Finalement, sur un parcours de plusieurs milles avant que vous n’arriviez jusqu’à un faubourg de Londres, Islington par exemple, vous remarquez un dernier et important indice de l’immensité qui caractérise l’approche de la capitale, et ce signe s’impose à l’attention de l’observateur le plus engourdi, c’est la sensation de n’être plus qu’un personnage insignifiant. Partout ailleurs en Angleterre, vous-même, vos chevaux, votre voiture, vos domestiques (si vous en avez amenés en voyage avec vous,) êtes regardés avec attention, parfois même avec curiosité : en tout cas vous êtes vus. Mais quand vous avez dépassé la dernière maison de poste sur n’importe laquelle des grandes routes de Londres, vous vous apercevez bientôt que personne ne fait plus attention à vous ; personne ne vous voit, personne ne vous entend ; vous-même vous cessez de vous préoccuper de vous-même. Et d’ailleurs comment pourriez-vous le faire, au moment où vous avez à reconnaître pour la première fois votre insignifiance absolue dans l’ensemble des choses, pauvre unité