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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/121

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destinées. Elle attendait de moi l’aveu de quelque grand événement ; mais, hélas ! je restais muet. Personne encore n’a pris sa place dans mon cœur et dans ma vie.

Quand nous avons ainsi causé quelque temps, ma mère me laisse pour descendre auprès de Mme de Préjary. Les soins dont elle entoure sa vieille amie l’occupent jusqu’au moment du déjeuner. En attendant que le repas soit servi, je me tiens d’ordinaire dans la petite bibliothèque qui se trouve au rez-de-chaussée de la maison. En été, cette pièce est délicieusement fraîche ; en hiver, on y allume, en mon honneur, un grand feu de bois. Je m’y chauffe en lisant ou en écrivant. La bibliothèque de Mme de Préjary n’est pas très bien fournie, mais le meuble qui contient les volumes, le plus souvent dépareillés, qui la composent, est charmant. C’est une large armoire de style Louis  XVI, peinte en gris et couronnée de corbeilles de fruits sculptés. Derrière le grillage des panneaux, s’alignent quelques bons vieux livres reliés en veau écaille. Il y a là une collection de pièces de théâtre. Comment ces antiques brochures sont-elles venues là, je ne sais trop, mais c’est à elles que je dois d’avoir fait connaissance avec le répertoire du xviiie siècle. Quand je suis las de Dancourt et de Dorat, je feuillette quelque relation de voyage ou quelque autre ouvrage démodé. Ainsi, aujourd’hui, j’ai consulté un traité d’hydraulique dû à la plume de M. de Bélidor, mais je sens que je n’aborderai jamais les œuvres complètes du cardinal de la