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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/138

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Jérôme, le sort en avait disposé autrement ! Huit jours après votre arrivée, à peine vos malles défaites, vos premières cartes posées chez vos amis d’autrefois, le hasard a voulu que vous vinssiez au parloir de Sainte-Dorothée et que vous y trouvassiez, en même temps que la vieille Mme de Felletin, une petite gueuse de pensionnaire qui attira votre attention. Et le pire de l’aventure, pour un électricien comme vous, fut que vous reçûtes le coup de foudre !

Car ce fut le coup de foudre, Jérôme. « Souvenez-vous-en », comme dit la chanson. Dix minutes après m’avoir vue, vous vous faisiez reconnaître par Mme de Felletin, et vous m’étiez présenté. Je vous rendis gravement votre salut et, bien que l’uniforme du couvent ne m’avantageât pas précisément, votre sort était décidé. La semaine suivante, Mme de Felletin, ahurie, stupéfaite, les poils de son menton dressés d’étonnement, accourait de votre part pour me demander ma main, ma main sans rien dedans. Quelle folie ! Mais c’était aussi la faute de Paris. Vous vous croyiez américanisé et vous étiez demeuré très Français, c’est-à-dire capable de l’acte le plus fou et le plus inconsidéré, d’un acte désintéressé, ce qui est le comble de l’absurdité ! Oui, mon cher, l’air de Paris, l’air de France vous avait monté au cerveau. Vous me preniez « sans dot », comme dans les comédies. Vous vous montriez l’un des derniers tenants du mariage chevaleresque. De ce beau mouvement, je vous serai toujours reconnaissante.

Cependant il importe de ne pas se duper. Certes, votre acte était socialement généreux et fou. Sentimentalement il était quelque peu autre. Votre chevalerie avait ses mobiles et elle contenait, à votre insu, une certaine part d’égoïsme. Vous y trouviez des compensations qui en modifiaient la valeur morale. La vérité, il faut bien le dire,