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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/141

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Miss Alicia s’opposait généreusement à ce qu’elle croyait être de ma part un affreux sacrifice. Tout cela fit que j’eus quelque peine à vous amener l’un et l’autre à une juste appréciation de la situation et à vous faire accepter enfin le bonheur mutuel que je vous offrais. Vous mettiez l’un et l’autre une sorte de point d’honneur à ne pas vouloir convenir de la vérité de mes assertions. Enfin je suis parvenue à vous faire entendre raison. Je vous ai rendu ainsi à tous deux un réel service. C’est ainsi qu’il faut se conduire entre gens pratiques, et nous nous sommes prouvé qu’aucun de nous ne manquait de cette qualité.

Car c’est au nom de ce sens pratique même que j’ai pu accepter de vous la récompense de mes bons offices. Je sais bien qu’en agissant ainsi j’ai renoncé à vous laisser de moi le souvenir d’une héroïne de roman. Mais que voulez-vous, mon cher Jérôme, je suis une femme qui aime la vie et qui désire la vivre le plus agréablement possible ! Aussi, ai-je accepté, sans façon, de pouvoir, grâce à vous, mener dorénavant à peu près celle qui me plaira. En somme, je suis une indépendante et je n’ai pas refusé que vous m’assurassiez une agréable indépendance. D’ailleurs, vous ne m’auriez jamais laissé vous quitter sans pourvoir à ce que je pusse mener loin de vous une existence honorable. Il eût peut-être été plus beau, certes, que je m’en allasse de chez vous comme j’y étais venue, mais y a-t-il lieu de s’étonner que cinq années d’Amérique m’aient un peu américanisée ?

De ces cinq années, je garde, et j’aime à vous le répéter, mon cher Jérôme, un fort bon souvenir. Nous ne nous y sommes diminués, ni l’un ni l’autre, à nos yeux réciproques. Nous ne nous sommes pas séparés comme des gens vulgaires qui, cessant de se plaire, travaillent à se trouver des raisons à se mépriser. Loin de là. Nous