Aller au contenu

Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La maman Guergis avait eu le cœur fort tendre et avait entretenu nombre de liaisons quelque peu scandaleuses. Elle s’était même fait enlever deux fois, la première par un ténor du théâtre de Lyon, la seconde par un commis du Bon Marché. Tout cela faisait que, même Mme de Guergis morte, la fille n’était pas très facile à marier. C’est ainsi qu’en jugeaient les bonnes mères de Sainte-Dorothée. Aussi, furent-elles heureuses que Jersainville, garçon de bonne famille, acceptât, sans trop l’approfondir, le passé un peu tumultueux de feu sa belle-mère. Jersainville s’était donc fait agréer. Quant aux dispositions héréditaires où pouvait se trouver Madeleine, il s’en préoccupait médiocrement.

Et cependant il y aurait peut-être eu lieu d’y faire quelque attention. Madeleine aurait mérité de n’être pas trop abandonnée à elle-même — et aux autres. Mais, que voulez-vous ? Jersainville n’avait ni l’âge ni le caractère d’un Mentor, pas plus qu’il n’a, d’ailleurs, ceux d’un tyran ou d’un policier. Peut-être en eût-il été autrement s’il avait été véritablement amoureux de Madeleine ; or, Jersainville n’est réellement amoureux que de son repos et de sa tranquillité ; le reste lui importe assez peu et il s’est vite désintéressé des faits et gestes de Madeleine. Sur ce point, son indifférence est totale, et cette indifférence est à la fois un bien et un mal. C’est un mal parce que Madeleine aurait eu besoin d’être dirigée et maintenue. C’est un bien parce que tout essai de direction aurait eu grandes chances de ne pas réussir et qu’il en fût résulté entre Madeleine et son mari des chocs désagréables. Donc le parti qu’ils ont pris est-il, en somme, le plus raisonnable qu’ils aient pu prendre. Madeleine ne se mêle jamais des affaires de M. de Jersainville, qui lui laisse en retour une entière liberté.

Je ne vous cacherai pas plus longtemps, mon cher