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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/155

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délicate et serviable. Elle est instruite, lettrée, et elle écrit fort joliment. J’ajoute qu’aux Guérets elle a une conduite exemplaire et irréprochable. C’est sa saison de repos, sa « saison de marmotte », comme elle dit. Ce n’est qu’une fois rentrée dans la vie mondaine, revenue à Paris, qu’elle est reprise de cette sorte de démon qui est en elle et qui fait qu’elle mérite vraiment le nom de « possédée ». Je le regrette un peu, car, une fois installée moi-même à Paris, je serai obligée d’espacer nos relations. Madeleine est une compagnie bien compromettante et, sans être bégueule, je ne tiens tout de même pas à être classée parmi les divorcées galantes. Madeleine, encore, a son mari ; mais, moi, je n’ai pas même un amant pour me faire respecter !

Je serai navrée donc d’être forcée à voir moins souvent ces bons Jersainville et peut-être d’avoir l’air d’une ingrate, car j’ai passé chez eux d’agréables semaines. Madeleine a été charmante avec moi et m’a montré la plus gentille amitié. Aussi ne voudrais-je pour rien au monde la peiner. Mais elle sera si occupée !… Enfin, je serai prudente. Je ne voudrais pas participer par trop à la mauvaise réputation que doit avoir Madeleine. C’est si bête de se compromettre inutilement ! Je veux mener une existence régulière. C’est pourquoi je veux quitter le plus tôt possible l’hôtel Manfred et louer un appartement. Je ne sais pas encore où j’habiterai. Je vais me mettre à chercher. Cela me fera une occasion de faire connaissance avec Paris. Elle me plaît, cette ville, et il me semble que je serai heureuse d’y être heureuse. Ne prenez pas cela en mauvaise part, mon bon Jérôme, vous avez fait de votre mieux pour m’y assurer une vie agréable. À moi de faire le reste.

Votre amie,

Laure de Lérins.