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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/160

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fesse, je n’ai pas eu le courage de m’astreindre à ces formalités. J’étais trop amoureuse de Paris pour m’occuper de régulariser mon union avec lui. Pourtant, j’ai fait un premier pas dans ce sens, car avant-hier je suis allée voir ma respectable tante de Brégin, à Sainte-Dorothée.

Je n’ai pas, du reste, accompli cet exploit sans quelques précautions préalables. J’ai pris, tout d’abord, celle de faire précéder ma venue par une lettre fort respectueuse, suffisamment détaillée, des plus modestes, et, je crois, assez bien tournée. J’y exposais à ma tante, dans un langage sans détour et sans forfanterie, l’important événement qui avait eu lieu dans mon existence. J’en retraçais les circonstances avec naturel, mais aussi avec une certaine réserve et avec toutes les bienséances possibles. En finissant, je laissais entendre discrètement que j’attendrais, pour me présenter au parloir, que l’on me manifestât le désir de m’y voir paraître. Je tenais avant tout à ne pas m’y rendre comme une intruse ni comme une coupable.

Ce qui l’est peut-être, c’est de rire encore, comme je le fais, en pensant au désarroi que ma lettre a dû jeter parmi les excellentes mères de Sainte-Dorothée. De quels commentaires, de quelles discussions a-t-elle dû être l’objet ? Pensez donc, mon pauvre ami, pour ces braves dames, je suis, en somme, une brebis galeuse, une malheureuse dévoyée, une âme perdue. Quoi ! une ancienne élève du couvent de Sainte-Dorothée être maintenant une divorcée ! N’est-ce point affreux ? Quel scandale ! Que de fois, à cette honte de famille, ma pauvre bonne tante n’a-t-elle pas dû lever les yeux au ciel par-dessus ses lunettes ! N’était-ce pas elle qui, en me faisant recevoir pensionnaire à Sainte-Dorothée, avait infligé ce déshonneur à la communauté ? Ah ! les