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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/167

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À M. Jérôme Cartier, Burlingame.
San Francisco (États-Unis).

Hôtel Manfred, rue Lord-Byron.

Paris, 12 janvier.

Mon cher Jérôme.

Je suis très heureuse de la bonne nouvelle que m’apporte votre câblogramme.

Vous voici donc enfin marié et l’aimable Miss Hardington doit être au comble de ses vœux. Songez donc, la voilà la femme de l’homme le plus élégant et le plus distingué de San Francisco, car je peux bien vous le dire, maintenant que vous n’êtes plus du tout mon mari et que vous êtes celui d’une autre.

Jusqu’alors, en effet, bien que nous fussions légalement divorcés, il existait encore entre nous une espèce de lien qui me retenait de vous parler entièrement à cœur ouvert. Cela donnait à mes lettres quelque chose de factice et d’emprunté, que, je le sens, elles n’auront plus. À présent, il ne reste vraiment plus rien de notre passé commun qu’une franche et loyale camaraderie. Je pense que votre nouvelle femme ne s’en offensera pas. Elle est très intelligente et elle comprend le plaisir que je puis avoir à vous écrire. J’espère qu’elle considérera avoir en moi une amie sûre et dévouée. Je lui en ai déjà donné des preuves, j’y ajoute celle de me mettre à sa disposition pour le cas où elle voudrait me charger de quelque commission de couturière ou de modiste. Nous sommes à peu près de la même taille et je pourrai très bien lui servir de mannequin. Transmettez-lui ma proposition.