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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/187

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membres ! À quels dangers prodigieux n’avais-je donc pas échappé. Quoi d’étonnant aussi que, dans un pareil pays, j’eusse perdu mon mari ! Un divorce est une bien mince aventure pour quelqu’un qui a dû en courir tant d’autres. Je dois m’estimer d’en être quitte à si bon marché !

La bonne et vague Mme Grinderel ne pouvait supposer un instant que j’eusse vécu là-bas, pendant cinq ans, dans un élégant et confortable cottage, situé aux environs d’une grande ville, et que l’endroit appelé Burlingame fût une espèce de Saint-James californien. Elle ne pouvait pas comprendre que je n’eusse pas été scalpée par les Peaux-Rouges et que je n’eusse pas passé mon temps à faire le coup de révolver avec les cow-boys, que je n’eusse pas manié le tomahawck et le lasso, logé dans un wigwam et mangé du pemmican à tous mes repas, comme dans les romans de Gustave Aymard, de Mayne-Reid et de Gabriel Ferry, dont elle fait ses délices. Cela dépassait son entendement et elle pensait que je lui cachais les péripéties de mon existence dans la savane et la pampa pour ménager sa sensibilité. Aussi m’a-t-elle fort poussée aux confidences. J’aurais pu aisément lui faire accroire, mon bon Jérôme, que vous êtes tatoué des pieds à la tête, que vous portez un anneau dans le nez et des plumes sur la tête. Elle mettait ma réserve sur le compte de ma modestie. Mais je n’en étais pas au bout de mes peines ! Si j’avais échappé à de lointains dangers, il me restait à éviter ceux de Paris. Une jeune femme seule y est exposée à bien des entreprises et à bien des périls. Et la bonne Mme Grinderel mettait à ma disposition le peu d’expérience qu’elle avait pour me guider dans ce dédale.

Je n’eus garde de refuser des offres si obligeantes. Mme Grinderel, qui n’est, pour l’esprit, ni une Mme Geof-