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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/218

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honneur. La personne qui terminait sa dernière lettre de manière à vous donner une assez bonne idée de sa sagesse ne s’est guère maintenue dans ces belles dispositions. Que voulez-vous, mon cher Jérôme, les femmes ne sont que contradictions ? Les femmes sont curieuses. Il y en a qui sont curieuses d’autrui ; d’autres qui sont curieuses d’elles-mêmes, et je suis de ces dernières. Ce genre de curiosité est assez fort en moi, vous avez pu vous en apercevoir. N’est-ce pas en y cédant que je suis parvenue, l’an dernier, à démêler l’équivoque de notre situation sentimentale, le quiproquo conjugal dans lequel nous vivions ? De cette mise au net, il est résulté notre divorce, divorce que je puis qualifier d’heureux parce qu’il m’a rendu une liberté que je souhaitais et vous a procuré, en vous permettant d’épouser Miss Hardington, l’existence qui vous convenait vraiment. Cette curiosité donc, vous l’avouerez, a du bon, mais elle peut avoir aussi ses inconvénients. Quoi qu’il en soit, c’est elle qui m’a conduite à la détermination que j’ai prise et à laquelle m’a obligée finalement mon incertitude persistante concernant la nature des sentiments que j’éprouvais envers M. Delbray.

Me voici donc revenue, mon cher Jérôme, à un point dont je croyais bien pouvoir vous tenir quitte. En effet, après vous avoir écrit, et persuadée d’avoir pris un sage parti, je dois vous confesser que je n’ai pas trouvé l’allègement auquel je m’attendais. Chaque fois que je voyais M. Delbray, le même problème sentimental me tourmentait plus anxieusement. Chaque fois, je me posais cette question agaçante : « M. Delbray m’est-il aussi indifférent que je le crois ? » Peu à peu, ce doute perpétuel me devenait insupportable. Le plus grave, c’est que j’en serais arrivée ainsi à prendre en grippe ce charmant compagnon. C’était un résultat inadmissible