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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/292

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de l’amitié. Or, c’était justement ce même sentiment que j’éprouvais pour vous.

Elle s’arrêta un instant de parler et lança par-dessus le parapet l’œillet qu’elle tenait à la main. Elle continua :

— Je m’aperçois, maintenant, et je m’en rends compte déjà depuis quelque temps, que votre amitié était de l’amour… Oh ! ne vous alarmez pas, cette idée ne m’est nullement désagréable ! Au contraire, et je voudrais pouvoir vous répondre quelque chose que vous attendez de moi sans doute. Oui, je voudrais pouvoir vous dire : « Mon cher Delbray, vous m’aimez, et bien, moi, je vous aime aussi ! » Malheureusement, cela, mon ami, je ne vous le dirai pas.

Elle s’exprimait avec netteté et fermeté. Son petit visage énergique et délicat se crispa légèrement. Elle fixa sur le mien un franc et clair regard :

— Non, Julien, quand je vous vois, je n’éprouve pas pour vous ce grand sentiment que l’on nomme l’amour. De cela, j’en suis tout à fait sûre. J’ai longuement réfléchi ; je me suis bien examinée. J’ai trop le goût de la franchise et de l’amitié pour vous mentir, pour vous donner de fausses assurances. Non, je n’éprouve pas d’amour pour vous, au sens romanesque du mot. C’est ainsi, je n’y puis rien, et il faut en prendre votre parti…

Je souffrais cruellement. De nouveau, je sentis ma poitrine pesante, ma gorge serrée, mes yeux humides. Ma détresse était infinie et s’accordait avec la mélancolie des lieux. Cette étroite et longue