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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/315

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route de l’Amphisbène et de sa fuite devant la tempête. Ainsi l’a voulu le caprice d’Antoine. À ce moment j’aperçois Gernon qui vient à moi, en me faisant les grands bras. Qu’a-t-il donc à s’agiter ainsi ?

J’ai bientôt l’explication de ses gestes. Le pauvre Gernon vient d’éprouver une grave déception. Ayant demandé à M. Bertin quand on arriverait en Crète, le second vient de lui apprendre la modification apportée par Antoine à notre itinéraire et que, dans quelques heures, au lieu d’aborder à Candie, nous entrerions dans le lac de Tunis. Antoine a négligé de prévenir Gernon et Gernon est furieux. Pas de Crète, et alors que va devenir l’article sur les fouilles de Cnossos et les ruines du Palais de Minos qu’une grande revue a commandé à Gernon ?

Or, il s’agit d’une somme importante, et les récriminations de Gernon prennent une forme aiguë. Son fausset atteint son extrême diapason. « Ah ! ils sont vraiment étonnants, ces gens riches ! Quel sans-gêne, quelle indifférence aux intérêts d’autrui ! Ils se croient tout permis ! Est-ce qu’ils s’imaginent que l’on n’a rien de mieux à faire que de les amuser ? Est-ce qu’ils supposent que l’on vit de leurs bonnes grâces ? Leur égoïsme est vraiment sans borne. Que les autres s’arrangent comme ils peuvent ! Pour eux, rien n’est trop bien et trop coûteux. Ainsi ce gros Antoine Hurtin, avec sa neurasthénie de fêtard dont quelques bonnes douches auraient eu raison, il lui a fallu fréter un yacht pour trimballer ses grimaces de faux malade.