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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/328

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plaisir à m’exposer ce qui était le grand événement de sa vie que je n’avais pas le courage de l’interrompre.

Ce qui surprenait le plus Yves de Kérambel en toute cette affaire était ce domaine algérien. Comment sa tante en était-elle devenue propriétaire ? Comment cette vieille dame sédentaire et qui semblait tout ignorer des affaires avait-elle acquis cette vaste propriété, et comment, de loin, sans connaissances agricoles et commerciales, l’avait-elle administrée avec une rare habileté ? Car Yves, après avoir pris le bateau pour venir se rendre compte par lui-même de l’état de ses nouveaux biens, avait trouvé l’exploitation en parfaite prospérité. La bonne tante de Guillidic, avec son petit bonnet et ses papillotes grises, avait été un administrateur colonial de premier ordre.

De tout cela, Yves de Kérambel exultait. D’ailleurs, il était transformé. Je ne reconnaissais plus en lui le petit hobereau guérandois minutieux et étriqué, coiffé d’un chapeau d’huissier et vêtu d’une redingote de notaire. La fortune l’avait tout à coup épanoui. Maintenant il parlait haut et gesticulait. Il avait pris subitement de l’aplomb et de l’autorité. Depuis une quinzaine de jours qu’il était à Alger, il avait adopté une tenue vraiment coloniale. Tout de blanc habillé, il savait déjà quelques mots d’arabe et ne jurait plus que par Mahomet. Qu’aurait-on dit à Guérande, si on l’avait vu ainsi ?

Je lui en fis amicalement la remarque. Il se mit à rire. Guérande ! Il jurait bien de n’y jamais