Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/342

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sueur brillaient sur sa poitrine nue. Il s’arrêta devant moi et me toisa avec dédain :

— Oui, à cause de toi, je le répète. Tu ne comprends donc pas que c’est à toi seul qu’il faut t’en prendre de cette fuite ? Oui, à toi seul. On n’a pas idée d’un pareil jobard. Mais elle n’est pas de bois, Mme de Lérins ! Elle en avait assez de sa croisière platonique. J’ai été vingt fois sur le point de t’avertir, de te crier casse-cou. Mais tu ne m’aurais pas cru. Est-ce qu’un homme intelligent et raffiné comme monsieur Julien Delbray croit à ce que lui dit un gros coureur de filles comme Antoine Hurtin ? Et puis, je m’étais promis de rester neutre en cette affaire. J’avais fait assez pour toi en te mettant à même d’avoir ta chance. Deux mois de tête à tête, N. de D… ! c’est un joli cadeau, tu m’avoueras.

Il s’essuya le front dans sa manche et continua :

— Comment, voilà une femme jeune, gentille, libre, qui a du goût pour toi — elle l’a prouvé en acceptant l’absurde voyage qu’elle vient de faire ! — Voilà une petite femme qui t’aime et qui, en somme, n’aurait pas demandé mieux que d’être ta maîtresse. Pendant deux mois, tu passes tes journées avec elle ; pendant deux mois, elle couche à vingt pas de toi, et, au bout de ces deux mois, tu n’en es encore avec elle qu’aux préliminaires ! Pas une fois, tu ne tentes sérieusement d’en venir à bout. Non : des discours, des soupirs, des protestations, des grands sentiments, des mélancolies et patati et patata ! Elle en a eu assez, cette petite. Les femmes