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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/360

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qu’ils sont libres tous les deux, qu’aucune considération mondaine ou morale ne les sépare, ou ne les entrave, il en résulte d’ordinaire un fait bien connu et sur lequel vous n’avez pas besoin de grands éclaircissements. Je vous vois me prier de ne vous en point donner et vous sauterez assez volontiers cette partie de ma lettre. Cette petite mauvaise humeur serait, d’ailleurs, très masculine. Les hommes éprouvent souvent, même les plus libres d’esprit et de cœur, certaines obscures et mystérieuses jalousies. Cela rentre dans votre inexplicable, car un homme est aussi énigmatique qu’une femme, bien que différemment. Mais, rassurez-vous, mon bon ami, il ne nous est rien arrivé, à M. Delbray et à moi, de ce que vous supposez probablement, et vous n’aurez à lire, sous ma plume, le récit d’aucune scène passionnée ou voluptueuse. Je n’ai pas du tout à vous annoncer, comme vous pourriez vous y attendre, que M. Delbray est mon amant et que je suis sa maîtresse, et que nous allons nous retirer en quelque endroit écarté pour y filer le parfait amour.

Et cependant, Jérôme, plus je m’examine, plus je réfléchis au sentiment que j’éprouve, plus je suis certaine d’aimer M. Delbray. Je crois bien même que je l’aimerai toujours. Oui, je l’aime et voici, pourtant, ce que j’ai fait.

Hier matin, M. Delbray est parti, avec un de ses amis, pour une courte absence. Il s’agissait d’aller visiter une propriété que cet ami possède à quelques heures de chemin de fer d’Alger.

M. Delbray devait être de retour dans l’après-midi. Or, à peine eut-il quitté le yacht que je prétextai auprès de mes hôtes d’une dépêche qui me rappelait subitement en France. Cette dépêche, d’ailleurs, n’était pas feinte. La supérieure du couvent de Sainte-Dorothée me