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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/85

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organiser mon existence, faire face aux petites difficultés quotidiennes. Cet exercice de mon indépendance ne saurait m’être que salutaire. Aux yeux de ma mère, c’était une épreuve indispensable.

Par un souci délicat de ménager mes susceptibilités, ma mère ne me découvrit pas tout d’abord les raisons qui l’avaient amenée au parti qu’elle venait de prendre, ce qui fit que je n’en compris pas l’héroïque sagesse. Je me révoltai à l’idée de cette séparation qui allait nous éloigner l’un de l’autre. La pensée qu’elle ne serait plus auprès de moi, chaque jour et à toute heure, m’était insupportable. J’en vins à l’accuser d’égoïsme, à lui reprocher de m’aimer moins. Mon premier mouvement fut de prendre le train pour Clessy et de la ramener avec moi, coûte que coûte. Mon incertitude habituelle me retint. Au lieu d’agir, j’écrivis. Ma mère me répondit par une longue lettre pleine de tendresse et de bonté. Une correspondance quotidienne s’établit entre nous. Peu à peu, très doucement, très finement, elle me fit deviner les motifs qui avaient dirigé sa conduite. Je sentis l’amour profond qui l’inspirait. Mon irritation fit place à un sentiment de gratitude émue. Je me rendis compte du sacrifice dont j’étais la cause.

Les lettres sont un précieux moyen d’explication : elles permettent d’indiquer bien des nuances qu’il serait difficile d’exprimer de vive voix. Quand on est en présence l’un de l’autre, les paroles, pour ainsi dire, faussent la pensée, tandis qu’à distance elle conserve mieux sa netteté. Ce fut ainsi que