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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/120

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mir. Tous les miroirs la virent certes et l’un d’eux la refléta nue et garde à jamais, en son cristal, l’image invisible de celle qui, contre moi, avait joué et perdu son ombre.


*


En ce temps-là, j’étais joueur et joueur heureux. D’après un vieux précepte de superstition je ne manquais point d’enfermer mon or dans une bourse faite de peau de chauve-souris. Je croyais moins à la vertu de cette bizarrerie que je n’en goûtais la singularité. Je me plaisais à maints traits baroques en vue d’ajouter à mon caractère ce qui pouvait le rendre curieux tant aux autres qu’à moi-même.

Chaque soir donc je me trouvais à la maison de jeu ou à quelque endroit où l’on jouât. Le jeu privé et le jeu public se partageaient une vogue égale ; les tripots regorgeaient car la passion des dés et des cartes, répandue jusqu’à la frénésie, attirait aux tables vertes la compagnie la plus brillante. Les doigts velus des hommes se crispaient sur les tapis où s’allongeaient les mains diamantées des femmes. L’attente y haletait sur des lèvres charmantes ou y bavait sur des