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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/204

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s’enfouit dans la poussière de l’oubli, et, au lieu de tout l’amas des entreprises, des combinaisons et des mesures, il ne me restait, comme témoignage de moi-même, que quelques fugitives impressions, ce que la vie a de momentané, d’involontaire et de furtif. Ces minutes éparses sur les ruines des longues années me semblaient, outre le seul bonheur, en avoir été les seules preuves. Cela, c’est tout nous-mêmes, nous ne regrettons que cela, ces secondes, ressenties presque inconsciemment dans l’âme et dans la chair, si brèves et qui ont la durée même de la mémoire d’avoir comme poussé aux fentes de ses décombres. Cela seul vaut ! le reste, jeux de l’esprit, vie à vide, sottise de notre ambition, convoitise de notre brutalité, subterfuges, simagrées !

Oui, mon fils, des grandes guerres, je ne me souvenais que de tel éclair de soleil sur une épée, d’une petite fleur sous le sabot d’un cheval, d’un frisson, d’un geste çà et là, événements minimes mystérieusement incorporés à mon souvenir ! je me souvenais d’une porte ouverte, d’un froissement de papier, d’un sourire sur une bouche, de la tiédeur d’une peau, de l’odeur d’un