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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/25

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cadre à l’ancre dans l’avant-port. Nous nous faufilions à travers l’inextricable encombrement des bassins ; les rames en cadence relevaient tantôt une algue, tantôt une épluchure. L’eau saumâtre croupissait frelatée d’immondices, se marbrait de plaques huileuses, s’engluait de viscosités. Peu à peu la route devint plus facile ; les obstacles s’espacèrent ; nous contournâmes quelques gros bâtiments à panses rebondies. Accroupis, ils bavaient des filets d’eau sale du mufle de leurs proues ; les fumées des cuisines montaient en spirales autour des mâts ; un mousse, juché dans les agrès, nous jeta au passage une pomme pourrie ; je la ramassai et je vis dans la purulence du fruit la trace des dents dont le drôle nous riait à califourchon sur une vergue.

La barque commença à se balancer légèrement et, le môle doublé, nous aperçûmes l’escadre ; elle était réunie là, haute sur la mer bleue. Quatre vaisseaux et un plus grand à l’écart. Nous nous dirigions vers le Sans-Pareil. Le pavillon armorié battait à la corne du grand mât. Les gueules des canons luisaient aux sabords. La mâture dessinait une ombre fine sur l’eau unie ; une cloche sonna.