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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/250

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perdue, ô souterraine, toi qui, étant plus que la vie, ne peux être possédée que dans la mort, toi que j’appelais Eurydice !


*


Il me semblait si bien l’avoir connue de l’autre côté du fleuve que je la nommais Eurydice. Ce nom lui plut et elle souriait de se l’entendre donner comme s’il eût réveillé en elle d’anciennes joies. Pourtant, parfois, elle soupirait de s’entendre appeler ainsi, car d’antiques tristesses séjournaient peut-être au fond de ses songes. Elle était debout entre deux suites d’échos ; j’ignorais où ils menaient sa mémoire, car je ne savais rien des avenues de sa Destinée, et mon amour en face de sa beauté s’en satisfaisait uniquement. Je ne veux point parler de mon amour ni disserter de sentiments au lieu d’évoquer des images. Il n’en est pas de plus précieuse à mon âme que celle d’Eurydice. Ma solitude n’est faite que pour le fantôme de sa présence et mon silence ne dure que pour la survie de sa voix.

Je revois l’ondulation de ses cheveux sur les coussins où elle s’appuyait volontiers, car sa