Aller au contenu

Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pareil à un fruit trop mûr ; mon sourire ne s’achève plus sans devenir une ride. Ne regarde pas ma figure ; bois et détourne la tête. Je me tairai ; tu écouteras couler la fontaine. Si le breuvage que je t’offre te réconforte, sois reconnaissant à la source. Assieds-toi un instant sur sa margelle de pierre et pense aux Nymphes qui l’habitèrent. Ne crois pas que j’en sois une et sache ce que j’ai été. Ce n’est pas un vain récit : tu y apprendras un des secrets du bonheur et peut-être le vrai sens de l’amour. Ecoute-moi parler sans lever les yeux, voyageur fatigué, et, quand j’aurai fini de dire, tu ne me verras plus. L’ombre s’accroît vite ; j’y rentrerai à mesure qu’elle augmentera, et tu pourras continuer ton chemin sous les étoiles en te souvenant de ma rencontre près de la fontaine de la forêt.

Les oiseaux, chaque année, passaient, à l’automne, en vols migrateurs, au-dessus de la ville que j’habitais. Ce fut peu de jours après leur départ annuel (déjà, peut-être, ils avaient traversé la mer) que mourut, lentement, l’ami qui m’aimait. La patience de son sourire dura jusqu’à sa mort. Une tristesse se répandit sur