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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/31

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marbre et des obis en des huttes de glaise. En des bouges sordides nous nous assouvîmes sur des esclaves nues ; en des chambres luxueuses nous courtisâmes des femmes parées. Torches fumeuses et candélabres clairs luirent sur nos sommeils.

J’ai connu ainsi toutes les mers. Nous fîmes escorte à des princes et convoi à des marchands. Parfois nos sabords hurlèrent. La fumée du soufre plana, déchirée d’éclairs d’or. J’ai ressenti le tressaillement des bordées et la secousse des boulets s’enfonçant dans la carène. Les voiles rompues pendirent aux mâts brisés. J’ai vu sombrer des navires. Le brûlot des pirates valait le grappin des corsaires.

La mer est plus terrible encore que ceux qui l’ensanglantent. J’ai vu toutes ses faces, son visage d’enfance des matins, sa figure ruisselante de l’or des midis, son masque méduséen du soir et ses aspects informes de la nuit. A la sournoiserie des bonaces succédait la véhémence des tempêtes. Un dieu habite l’eau changeante : il se lève parfois, empoignant la crinière des lames et la chevelure des algues, dans un râle de vent et une rumeur de houles ; il se façonne